C’est avec une appréhension certaine que je me rends à Jausiers, point de départ choisi pour ce challenge des « 7 Majeurs ». C’est une grande première fois : je n’en ai grimpé aucun auparavant !
Premier petit coup de stress : j’ai oublié mon câble micro USB pour recharger mon GPS et mon compteur. Après avoir fait chou blanc dans plusieurs magasins, je fini par en dénicher un dans un magasin de téléphonie du centre-ville de Jausiers.
J’ai côché cette date depuis plusieurs mois, qui réunit plusieurs avantages : c’est la pleine lune et j’espère ainsi profiter un peu des paysages des montagnes traversées la nuit et avoir des descentes avec un minimum de visibilité ; les jours n’ont pas encore trop raccourcis (Donc nuit plus courte) ; enfin j’espère une nuit pas trop froide.
Initialement, je devais partir vers 18h00 pour faire les cols italiens de jour, sur les conseils de Pascal P., l’état de leur revêtement étant assez dégradé. J’avance un peu mon horaire vers 16h-16h30, car je redoute les orages de chaleur de fin de journée qui sévissent actuellement. J’en ai subi un la veille en arrivant : ils sont violents, soudains, avec de fortes précipitations.
Un peu avant 16h20, je m’élance direction le col de Vars. Les sensations sont moyennes, le coup de pédale pas super. Les 800 bornes de voiture la veille ne doivent pas y être étrangères. Comme redouté, le ciel s’assombrit et de gros nuages noirs s’agrègent sur les sommets alentour. J’atteins le col de Vars au sec, mais avec un fort vent de face pendant l’ascension. Je bascule, pas de nuages. J’ai le sentiment que le lac de Serre Ponçon favorise ces concentrations orageuses sur les massifs qui le surplombent.
Commence alors cette phase de transition vers Briançon avant d’attaquer l’Izoard. Il fait chaud et le vent ne faiblit pas. J’arrive à Briançon en début de soirée. Les terrasses de café sont pleines, la saison estivale est lancée. Je refais le plein des bidons en m’octroyant un diabolo menthe et un Magnum.
L’Izoard : ce nom évoque pour moi des images en noir et blanc, des silhouettes courbées sur leur machine, leur poitrine ceint d’un boyau, dans un décor granitique, minéral, sur des routes plus proches du sentier de chèvres. L’ascension par Briançon ne correspond pas à cette description. Mais à l’approche du sommet, la roche prend le pas sur les alpages. Cette impression lunaire, désertique est accentuée par ce moment de la journée, que l’on nomme aussi « entre chien et loup ».
L’autre versant est irréel. Me voilà en plein dans la Casse déserte ! Il y pas mal de monde venu profiter du coucher de soleil dans cet environnement singulier.
Le Queyras : Château Vieille Ville, Môlines sont les noms dont je me souviens. Je ne connais pas du tout ce coin de France. J’en ai juste entendu parler. L’aperçu furtif m’a plu : villages de montagnes peu affectés par nos canons urbains actuels.
La transition Izoard – Agnel est rapide. Je prends soin de m’alimenter entre chaque col. Avec mon petit moteur, je fais appel à des filières énergétiques ayant une autonomie limitée. La nuit est bien installée maintenant. La montée de l’Agnel est plaisante : je livre mon impression, car je ne vois pas grand-chose ; elle est émaillée de plusieurs villages et autres hameaux, de nombreuses fontaines jalonnent la route : pas de risque de tomber en panne d’eau.
Au sommet : prises des photos, manchettes et hop c’est reparti à l’assaut des 3 cols italiens au menu. Je mets en charge mon GPS de guidage : il est à 0%. Et crac, avec ma délicatesse habituelle, je casse le plastique de l’embout. Je n’ose plus toucher à rien, ça à l’air de toujours fonctionner. Quel con ! C’est transi que j’arrive à Casteldelfino. J’ai presque envie de vomir. C’est de ma faute. J’ai descendu l’Izoard en court et j’ai juste mis des manchettes pour la descente d’Agnel. Mon maillot est trempé de la transpiration de la montée et le gilet fluo en plastique ne favorise pas l’évacuation de cette humidité, au contraire il l’amplifie. Je me désape et enfile un sous-vêtement technique d’hiver, plus un sous casque, un « Buff » et un coupe-vent. Je mets bien 20 minutes à ne plus grelotter.
Petite transition vers le Sampeyre mais gros changement de décor : fini les routes françaises aseptisées. Dès le premier mètre, c’est une route étroite grêlée des réparations d’une dizaine de générations de cantonniers. L’état de la route, mais surtout le panel de réparations mis en œuvre m’ont occupés l’esprit une bonne partie de l’ascension. Blague à part, c’est une montée comme je les aime. On est sous les arbres assez longtemps, c’est sauvage, ça tourne, c’est irrégulier, je n’ai pas vu passer le temps. L’arrivée au sommet sur un petit plateau est déconcertante.
C’est le point de jonction de plusieurs chemins de randonnée. Je crois même me souvenir que la route que j’ai empruntée se termine aussi sans revêtement. Je cherche le panneau mentionnant le col, une sculpture quelconque. J’aperçois une forme imprécise à une trentaine de mètres. Bingo, j’ai déjà vu cette…sculpture ( ?) sur des photos d’autres participants.
J’amorce rapidement la descente sur une route sans revêtement : ça secoue. Et pour cause, j’ai raté la bonne route (Merci le GPS) et me suis emmanché sur un chemin. Cette descente sera la pire de toutes. Même si la route est en moins mauvais état que l’autre versant, je suis tout le temps sur les freins. L’obscurité n’arrange rien. Ca tape, ça cogne, ça secoue, ça slalome au gré des défauts de la route…ça dure une éternité. Paf ! Je prends un trou et mon bidon de réparation est éjecté. Me voilà à chercher avec le phare démontes pneu, cartouches de gaz, multi outils, etc éparpillés sur la route en pleine descente. Je retrouve tout.
A Saint Martin, le GPS m’indique une route sur la droite. Je ne la trouve pas. Je continue, arrive dans le village donné et tâtonne un bon moment. Je continue sur la même route la descente contre l’avis du GPS. Arrivé en bas, je m’aide de Mappy itinéraire pour reprendre la bonne direction. Petite transition de 5 km et hop petite route sur la gauche et c’est parti pour la Fauniera. Pas une seule fois, je ne vois un panneau indiquant ce col. Je redoute cette montée après avoir lu un commentaire de Patrick G. « Interminable Fauniera ». Le jour se lève pendant l’ascension. C’est mon préféré des 7, mais aussi le chef de bande des 7 salopards. En son milieu, le revêtement est mauvais, voire inexistant, avec des ruptures de pente assez sèches. Par contre, les paysages, les odeurs, cette route qui ne s’est pas imposée au relief et ses obstacles, font de cette montée un régal.
J’arrive à la stèle Fausto Coppi, content d’en avoir fini. Je commence à ressentir l’accumulation du dénivelé. Photo de la stèle pour mon homologation, j’enfourche le vélo, m’apprête à repartir par la route devant moi. Le GPS n’est pas d’accord. Il m’indique une autre route à laquelle je n’avais pas prêtée attention, sur la droite, au détour d’une roche…avec un panneau indiquant le col de la Fauniera. Me revient alors en mémoire, la reflexion de Patrick G. « interminable Fauniera ». Je plussois !
Re-photo devant le panneau du vrai sommet de la Fauniera. J’interchange les branchements entre le GPS de guidage et mon Garmin 500. Ca ne tient que par un fil, l’expression au propre, comme au figuré. La descente commence par une route serpentant au sommet au milieu d’un chaos rocheux : impressionnante cette Fauniera. Puis on bascule dans un décor suisse. Autant l’autre versant était sauvage, autant celui-ci semble avoir été domestiqué. Il y a des marmottes par dizaines et j’ai peur d’en percuter une. Le revêtement est plutôt bon, il y a pas mal de locaux en vélo ou en ski à roulettes. Il fait beau, je ne ressens pas d’effet de ma nuit blanche : le moral est au beau fixe. Par contre j’ai faim, je sens la fringale qui pointe. J’arrive à Demonte et prends la route de la vallée pour cette transition d’une vingtaine de km vers la Lombarde. La broche de ma prise micro USB m’a lâché. La charge de mon Garmin 500 est à 16% : je les garde pour la fin de parcours pour l’homologation.
Je stoppe à Aisone pour un petit déjeuner. J’engloutis 5 croissants fourrés et un thé, refais le plein des bidons à la fontaine. Il est 9h00 : c’est mort pour terminer en moins de 24h00. Je sens que les jambes ne sont pas bonnes et que les 2 dernières ascensions vont être un calvaire.
La lombarde démarre par un mini Alpe d’Huez : une série de lacets assez resserrés, mais à l’ombre sous les frondaisons. S’en suis une longue portion en ligne droite, monotone et difficile, puis des paliers de niveaux que l’on franchit par de courtes séries de lacets. On débouche sur un plateau verdoyant et arboré, où la route est quasiment plate. Embranchement sur la gauche : direction la frontière, 8 km jusqu’au sommet. La première partie est boisée, puis la fin se fait sur un plateau pelé clairsemé de roches. L’ascension a été dure pour moi, mais je pense qu’elle n’est pas difficile intrinsèquement.
La descente vers Isola village se fait par une route large et rapide. On y laisse de la gomme de patins car les virages sont nombreux et serrés après de longues lignes droites. Il fait chaud et le vent s’est levé. Il sera favorable jusqu’à Saint Etienne de Tinée, terme d’une transition d’une quinzaine de km. Pause casse-croute à la boulangerie d’Isola Village : je la recommande, sandwich préparé sur le moment : le pain est frais, bien croustillant avec son jambon cru et fromage de pays.
La Bonette n’est pas dure dans son ensemble, même si j’ai trouvé que les difficultés allaient crescendo : déclivité et fort vent de face. Je la gravis avec résignation, j’évite de regarder les panneaux à chaque km. Je ne veux pas savoir, je sais déjà que c’est long. C’est suffisant.
Pause coca/Banane au gite d’étape de Bousieyas avant d’entamer l’assaut final. Bientôt j’aperçois un ensemble de maisons en ruines : cela me fait penser à ces villages engloutis que l’on peut voir quand les retenues d’eau artificielles sont vidées. En fait c’est un ancien camp en cours de réhabilitation : le camp des Fourches. Drôle d’endroit : on doit être à 2400-2500 mètres d’altitude et ça m’étonnerait que l’accès soit toujours possible en plein hiver. D’autant plus que l’environnement immédiat est très austère. J’ai le sentiment que de mauvaises conditions météo peuvent très rapidement engendrer des situations périlleuses entre le camp des Fourches et le sommet.
La route contourne un pan de montagne, quelques km avant le sommet : je prends un vent violent en pleine poire, qui souffle en rafales avec une pente qui s’est acrue. J’atteins péniblement le panneau indiquant « Jausiers direct » : c’est tentant, mais rendrait caduque ce que j’ai accompli jusqu’alors. Les 900 derniers mètres sont horribles. N’ayant plus de GPS depuis quelques heures déjà, je n’ai pas la pente, mais j’ai l’impression que ça fait plus de 10-12%, toujours avec ce vent violent contraire. Je mets un point d’honneur à ne pas mettre pied à terre. Dernier virage à droite (Je rallume mon Garmin 500) et j’aperçois la stèle terme de l’ascension. Je ne m’attarde pas : le ciel se couvre, les premières gouttes font leur apparition.
Je dévale la vingtaine de bornes jusqu’à Jausiers. La boucle est bouclée : 25 heures et quelques minutes, sous réserve de validation par notre Grand Maitre.
Je suis assez déçu. Mais les messages de félicitations me remettent rapidement les idées en place afin d’apprécier à sa juste mesure l’esprit du défi des 7 Majeurs. Je reviendrai, mais l’année prochaine. Car de Tours, c’est vraiment une expédition ! Les 7 salopards ont eu raison du pied-tendre…