J’y croyais encore dans la descente de Vars, notre dernier col, alors que plus loin, à 8 minutes du temps réglementaire nous découvrions le panneau « L’Argentière-la-Bessée : 10km », notre ville de départ. Objectif raté : nous bouclerons les 7 majeurs en 24 heures et 17 minutes. Nous ne serons donc pas Chevaliers, mon équipier et moi.

Pas ce Lundi 8 Juillet 2024 en tout cas. Mais je veux retenter l’aventure. Ce sera cette même année car tel était mon objectif. La raison de notre échec est évidente : trop de pauses, trop de confiance avec le timing ! Mais les 7 Majeurs sont impitoyables, incomparables au Tour du Mont Blanc par exemple, bouclé l’année précédente avec un temps confortable.

Personne pour m’accompagner pour une nouvelle tentative, tant pis, j’irai seul. Il y aura donc une dimension solitaire en prime pour ce nouvel essai. Je choisis une date pas trop lointaine pour que les jours restent longs, mais pas trop proche car je dois me reposer et me re-préparer correctement. La date est fixée : ce sera le 4 Août 2024 !

Je reconsidère horaire et lieu du départ pour ne pas me retrouver à la cime de la Bonette de nuit. Déjà pour ne pas manquer ses somptueux panoramas mais aussi parce que j’angoisse un peu à l’idée de rouler seul la nuit en montagne. En privilégiant un départ de Briançon suffisamment tôt (3h30), je n’aurai normalement que les cols d’Izoard et Vars à franchir de nuit (pendant l’Izoard je saurai que le jour arrivera bientôt et Vars est le plus court et le moins haut).

La météo est au rendez-vous mais je ne suis pas serein la veille du départ : une douleur naissante au tendon d’Achille gauche s’est installée. J’emmènerai dans les sacoches un traitement de cheval pour calmer la douleur si besoin. Pour partir à 3h30, je vise un réveil à 2h45 et tente évidemment de dormir au plus tôt. Mon hôtel porte le nom de circonstances « Auberge de l’Impossible » : insonorisation dérisoire, portes et planchers bruyants, nombreux clients, chaleur… Je n’arrive pas à dormir et les heures défilent. Le stress grandissant ne m’aide pas non plus à dormir. Je ne m’assoupirai qu’une demi-heure en tout et pour tout. Entre ce tendon fragile et un sommeil insignifiant, il devient impensable de prendre le départ des 7 majeurs. Je décide de partir tout de même car Izoard et Agnel permettent tous les deux un retour sans dénivelé en cas de pépin. Bref, la bascule du col Agnel sera le point de non-retour.

Premier majeur : Izoard (2362m)

C’est parti. Les premiers kilomètres de l’Izoard sont rassurants au milieu des habitations mais j’arrive vite sur ses parties isolées où je guette le moindre bruit. Beaucoup d’étoiles mais pas de Lune cette nuit-là, seule ma lampe en mode éco éclaire la route devant moi. Je croise biche et renards qui me surprennent mais c’est bien moi qui les effraie et pas l’inverse. La tête est « dans le gaz » mais les jambes tournent comme il faut à mon objectif de 210W. Il fait juste frais, 8°C, mon coupe-vent suffira pour l’arrivée au sommet et la descente.

Deuxième majeur : Agnel (2748m)

J’entame le col Agnel aux lueurs du jour. Les premières marmottes signalent ma présence mais je n’en vois pas une seule ! Cette montée est déjà un bijou après 10km et ne fait que s’embellir jusqu’en haut. Les derniers kilomètres, avec leurs sérieux 10% de pente, seront les juges de paix de ma condition pour la suite. Ça passe, même plutôt bien, l’espoir est là ! Je reçois les premiers rayons de soleil au sommet et regarde en bas du côté italien : encore plus beau, comment est-ce possible ? Une descente de rêve m’attend, plus d’hésitation, et on ne s’attarde pas avec les pauses, andiamo !

Troisième majeur : Sampeyre (2284m)

Col pittoresque dont on ne devine pas l’existence même en arrivant à son pied. Ça engage tout de suite avec du 9% constant et une route très étroite en mauvais état. Mais la fraîcheur des sous-bois et la tranquillité de l’endroit m’offrent un certain apaisement. Les jambes tournent bien, la puissance initiale reste confortable. Je prends vite de la hauteur : une vue de la vallée déjà lointaine en contrebas confirme la sensation d’avancer. Cela n’enlève rien à la difficulté de ce col : avec ces pentes-là, chaque hectomètre s’égrène lentement. Heureusement qu’il est plus court que les cols précédents. Arrivé en haut il est temps de sortir les sandwichs et la crème solaire, en profitant d’une pause méritée de 15 minutes chrono. Reprise des efforts dès la descente du Sampeyre qui contient tous les ingrédients pour une chute à vélo : route étroite, virages serrés sans vue, pente forte, nids de poules, graviers. Pas de frayeur pour autant, ce n’est pas sur une sortie comme ça qu’on flirte avec les limites !

Quatrième majeur : Fauniera (2481m)

La transition jusqu’au début du col de Fauniera n’est pas longue mais je sens rapidement une gêne au tendon d’Achille gauche, en appuyant à nouveau sur les pédales. Deux kilomètres plus loin, c’est la douleur qui apparaît et je dois m’arrêter pour la soigner : étirement, pommade et comprimés anti-inflammatoire et paracétamol, tant qu’on y est. Je mets 30W de moins et pédale « talon haut » à gauche : ça passe mais je redoute les fameuses rampes de la Fauniera qui jouent avec les 20%. Je suis resté en 35-28 pour garder mon vélo en configuration de tous les jours, je sens que je vais le regretter. Les rampes sont là. Je me retrouve tout de suite en danseuse mais dois me rasseoir dès qu’il y a des gravillons, et ce n’est pas rare ! La route est un champ de mine avec des trous partout qu’il faut esquiver. Les jambes tiennent mais pédaler talon haut sollicite un peu plus mon genou gauche. Je dois choisir entre tirer sur le tendon d’Achille ou le genou mais je trouve un « sweet spot » confortable pour les deux. La deuxième partie du col reste difficile mais la vue est dégagée, je profite des paysages qui rendent moins long l’écrémage des kilomètres. Il fait chaud mais avec l’altitude chaque voile nuageux est un rafraîchissement réconfortant. J’atteins le sommet mais que c’était long ! 4 majeurs sur 7 de passés mais là, j’y ai laissé quelques précieuses cartouches, la suite va être dure. Je m’alimente rapidement mais je ne veux pas m’attarder. La descente est longue et encore plus terrible que celle du Sampeyre, je ne comprends pas comment mon vélo résiste à tous les chocs qu’il ramasse !

Cinquième majeur : Lombarde (2350m)

Quelques 10km de faux plat montant séparent la fin de la descente et le début du col de la Lombarde. Il fait 35°C, ce sera le plus chaud vécu sur cette journée. Je m’arrête à une fontaine avant la montée pour une véritable douche et un plein d’eau indispensable. La première moitié de la montée est éprouvante avec chaleur et pente allant crescendo de 7 à 9%. J’ai toujours les douleurs à gauche. Je vis là le pire moment de ma journée et dois puiser loin dans le mental pour ne pas m’arrêter. Sur le côté de la route, un promeneur me regarde passer et me lance un « keep going ! » énergique et empathique. Cet encouragement sincère résonnera dans ma tête. Je parviens à atteindre la deuxième moitié du col, à la fois plus douce et plus belle, comme une récompense. Je profite des derniers kilomètres de la Lombarde qui sont absolument magnifiques. Plus tôt dans la journée, je pensais que le bout du tunnel se devinerait depuis le cinquième majeur mais il n’en est rien, la fatigue s’est installée et je crains les efforts restants : il reste 160km et quelques 3000m de D+, soit une bonne grosse sortie vélo en contexte « normal » ! Après un nouveau sandwich, je retrouve une descente à la française : rapide, plaisante et reposante.

Sixième majeur : Bonette (2802m)

La fonction « climb pro » de mon Garmin inclut l’approche de 13km dans la montée de la cime de la Bonette : le tout fait 40km avec 1700m de D+ ! Quelque peu découragé, je prévois de passer d’abord l’approche avant une nouvelle pause à Saint Etienne de Tinée pour préparer dignement l’énorme morceau restant. Une fois stoppé, je réitère prise de médocs et soins aux articulations et dégaine la potion magique : shooter de 200mg de caféine alliée au guarana, de quoi rendre un narcoleptique insomniaque ! Je retrouve la pêche, quelques Watts et du mental. La route est lisse, la pente douce et régulière. Il est 20h, après la vallée ombragée je passe des portions ensoleillées avec la montée. La chance m’a souri : après quelques 17h de selle et 270km je passe le col pile au coucher du soleil. Le panorama est splendide. Je gravis la boucle de la cime par son côté Ouest encore ensoleillé. Je suis sur le toit de l’Ubaye, ses montagnes immenses vues d’en bas paraissent petites d’ici. Le plaisir est intense pour les yeux et pour le mental car le plus gros est fait !

Septième majeur : Vars (2108m)

Après une longue descente pendant laquelle la nuit s’est installée, une approche de 9km en faux-plat montant et 12km de montée m’attendent. Je retrouve les sensations de la nuit mais sans inquiétude cette fois-ci car je ne pense qu’à une chose : en finir rapidement avec ce col, basculer et rallier Briançon. Pas de bestioles cette fois-ci, jusqu’à percevoir les aboiements lointains de 2 chiens, s’intensifiant en avançant, je comprends alors que je m’en approche. Je prie pour qu’ils soient enfermés où attachés mais non : arrivé à leur niveau, les bâtards me contournent, chacun d’un côté et feignent de me mordre entre aboiements et grognements ! Je crie, sprinte et ils finissent par me laisser partir. Le message est passé, j’étais chez eux là-bas, je m’en souviendrai c’est promis ! Les derniers 5km du col ont beau être corsés avec du 10% et plus, ils ne m’affectent pas, j’en ai vu d’autres aujourd’hui et le dernier majeur est vite dompté !

C’est presque fait, je ne crains maintenant que l’accident ou la panne mécanique. Dans la descente de Vars, ma lampe n’éclaire que quelques dizaines de mètres devant moi et j’espère ne pas voir débouler d’animal sauvage.

Après Guillestre, les derniers 37km jusqu’à l’arrivée sont avalés sans broncher malgré deux derniers coups de cul dont je me serais bien passé.

J’entre dans Briançon après 21 heures et 55 minutes d’effort, les bras en l’air, mon téléphone à la main jouant « We Are the Champions » ! Il est presque 1h30 mais il reste un bar ouvert. Je n’ai jamais autant eu envie d’une douche mais je n’ai jamais autant mérité une bonne bière. Cette dernière s’imposera pour célébrer une longue journée singulière et chevaleresque !

Merci aux créateurs de ce défi hors normes ainsi qu’aux auteurs des récits desquels j’ai puisé beaucoup d’inspiration.