Le 5 septembre 2022, 5 équipages de tandems non-voyants et les bénévoles du Cyclo tandem Vaucluse, se sont retrouvés pour relever un défi de taille : conquérir les 7 Majeurs dans le cadre d’une opération de collecte de fonds destinée à financer tandems et matériels adaptés pour les enfants déficients visuels de l’école élémentaire Sainte Catherine de Montfavet dans le Vaucluse.

Jean-Paul Imbert, fondateur du club Cyclo-tandem de l’AVH Vaucluse, et à l’origine de ce défi exceptionnel parle d’une “évidence” quant à ce projet. “Étant moi-même non-voyant, ces enfants m’ont beaucoup touché. C’est logique que l’on fasse ça pour eux“.

L’équipe :

  • 5 équipages tandem:
    • Jean-Paul Imbert et son pilote Xavier Joubaire
    • Pascal Coulon et son pilote Christophe Simonot
    • Patrice Lavalée et son pilote Jean-Jacques Bertrand
    • Louis Casu et son pilote Eric Geledan
    • Renaud Lexpert et son pilote Emmanuel Villard
  • 2 accompagnants pour la logistique:
    • Bernadette Leroux
    • Jean-Claude Bardoz
  • 1 accompagnante chargée de communication:
    • Sophie Barbaza-Simonot

Voici le journal de bord de Pascal COULON, parti de Bruxelles au pied levé rejoindre l dans cette folle aventure.

Prologue

Samedi matin, 3 septembre, le téléphone sonne :
– Bonjour, Pascal. Es-tu libre pour grimper quelques cols alpins ?
– Bonjour, Bernadette. Euh… Oui…c’est pour Quand ?
– Pour ce lundi… nous sommes attendus à Jausiers après-demain !

C’est ainsi que je me suis engagé à relever un défi monumental, sans préparation, sans entraînement, sans connaître ni mon pilote, ni le tandem.

Pas de temps à perdre : réserver un accompagnateur auprès des chemins de fer, annuler tous les rendez-vous de la semaine à venir, Jeter  les aliments périssables, préparer mes bagages, démonter ma selle, mes pédales automatiques, et cetera.  Ne rien oublier surtout.  Tu parles ! J’aurai oublié trois choses : mon rasoir. Ah, la barbe ! Ainsi qu’un guidon adapté aux grands gabarits et un baume apaisant pour mon postérieur. Ces deux derniers oublis se révéleront très douloureux !

Le soir même, à Virton, Bernadette me régale de son fameux pâté gaumais et de deux ou trois Orval.  L’aventure commence fort bien !

Dimanche 4.

Mon hôtesse gaumaise nous conduit jusqu’aux alentours de Gap . Voyage sans problème. Ah si, tout de même ! Bernadette hésite à me confier le volant de sa voiture alors que je pourrais la relayer et conduire les yeux fermés tout en balayant la route de ma canne blanche…

Lundi 5, col du Vars

10 heures et quelques minutes. Arrivée à Jausiers, point de départ de notre périple. Quelqu’un attire l’attention de Bernadette sur l’heure tardive de notre arrivée. Hé ! ho ! ma conductrice a tenu seule le volant sur plus de neuf cents kilomètres. On m’introduit auprès des membres de cette redoutable équipée. Il s’agit d’une dizaine de forçats de la route échappés de divers coins de l’Hexagone, et de trois convoyeurs : Bernadette, qui ouvrira la route avec une voiture, Sophie, qui nous accompagnera sur un vélo solo électrique, et Jean-Claude, qui fermera la marche avec un véhicule tractant une remorque .
Christophe, mon pilote, monte ma selle et mes pédales sur un Lapierre. Aïe, une fois assis sur le tandem, je constate un premier oubli qui sera source de douleurs. Pourquoi n’ai-je pas pensé à emporter un guidon à longues cornes ? Bah ! Je m’adapterai au papillon, qui sera inversé afin de gagner quelques centimètres.
C’est parti ! Je me familiarise avec le vélo et son pilote. Tous deux sont sûrs. Rien à signaler. Sinon qu’à l’arrivée à Villars-Saint-Pancrace, j’ai déjà des crampes aux cuisses. Je demande à Christophe de marcher un peu à côté de notre monture pour me délier les jambes. Nous prenons possession de nos chambres. Je prends la précaution d’occuper un lit isolé car il m’arrive de scier du bois pendant la nuit.
À table , nous sommes donc treize. Tant pis pour les superstitieux. Ayant calculé le poids de notre équipage, Christophe souhaite imposer un handicap aux tandémistes dotés de gabarit de grimpeur afin de rééquilibrer les forces en présence. Comme je l’avais prévu, on nous envoie paître…
Souvenir visuel (sic !) : lors d’une promenade digestive, Bernadette me signale que l’herbe est bien verte, alors que la sécheresse a tout jauni cet été dans les vallées .

Mardi 6, cols de l’Isoard et de l’Agnel

Grâce aux étirements, les crampes ont disparu. Je nourris cependant quelques craintes. Deux cols nous attendent aujourd’hui. Ce ne sera pas de la petite bière. Pour moi qui ne suis pas entraîné et viens d’un plat pays, ce sera sans doute la journée la plus dure. Allons, ne décevons pas notre pilote. À cœur vaillant, rien d’impossible !
à peine sommes-nous sortis de Villars qu’un pneu éclate. Ouf, pas de dommage. Quelques kilomètre plus loin, dans la montée vers l’Isoard, Christophe et moi évoquons le mythe de Sisyphe. Ne sommes-nous pas en train de pousser un Lapierre vers le sommet de la montagne ? L’histoire se répète, y compris chez les cyclistes…
Pendant notre lente ascension, je décide de ne plus médire sur les vélos électriques. En effet, Sophie monte et redescend tous ces dénivelés sans effort apparent. N’est-ce pas fantastique de pouvoir emprunter allègrement de belles côtes au milieu de ce décor grandiose ?
Dans la descente, je décide de ne plus médire sur les freins à disque, même si les nôtres ne sont pas réglés au mieux. Qu’est-ce qu’ils chauffent ! Qu’est-ce qu’ils gémissent ! Et pourtant, quelle puissance, quelle sûreté par rapport aux patins sur jante !
Ce soir-là, nous mangeons italien à Ponte Chianale .
Souvenir olfactif : le gel douche trouvé dans la salle d’eau exhale un délicieux parfum d’immortelle.

Mercredi 7, col de Sampeyre

Aujourd’hui, je me sens nettement mieux en selle. La veille, Christophe et moi avons changé de tandem. Les freins à disque du vélo précédent ne répondaient plus dans les longues descentes malgré nos arrêts fréquents pour les laisser refroidir. Oups, je m’étais promis de ne plus critiquer les freins à disque…
N’oublions pas que dans les années cinquante, Jaguar a, grâce à ces seuls accessoires, gagné quatre fois les vingt-quatre heures du mans, épreuve d’endurance par excellence. Ne désespérons donc pas que ces type de freins gagne bientôt en endurance et en fiabilité.
Ce soir-là, à l’apéro, je m’entretiens avec Patrice, qui me révèle toute la rigueur qu’il a déployée pour s’entraîner. Par la suite, je découvrirai que la plupart des tandémistes présents sont dans une forme physique impressionnante. Je ferais bien d’en prendre de la graine. Hélas, natif du pays de la bière et des frites ainsi que du chocolat, je crains fort de ne plus pouvoir me débarrasser de ma graisse…
Souvenir gustatif : au petit-déjeuner, j’ai reçu un dernier morceau de pâté gaumais. Miam, quel délice que ce porc mariné… Et que dire au sujet de la focaccia ! J’en ai encore l’eau à la bouche en tapant ces mots.

Jeudi 8, col de la Fauniera

Christophe me décrit nombre d’animaux qu’il voit autour de nous : des marmottes nous sifflant au passage, des vaches faisant sonner leurs cloches, des moutons bêlant derrière leurs clôtures électrifiées, des abeilles vrombissant dans et autour de leurs ruches, un écureuil traversant la route devant notre roue, un bouquetin regardant passer notre tandem comme s’il était un bovin contemplant un train . En fin de journée, mon pilote aperçoit à mille cinq cents mètres d’altitude un héron pêchant patiemment dans un torrent longeant une côte de près de 10 pour cent.
Ce soir-là, je me sens assez en jambes pour boire deux bières italiennes dans des verres de 40 centilitres. Au dîner, Sophie a la gentillesse d’ôter les arêtes de ma truite. Je ne crois pas que le héron ait eu droit à la même faveur !
Souvenir auditif (resic !) : le sifflement émis par les marmottes. Ai-je précisé que la marmotte est la mascotte de notre groupe ?

Vendredi 9, col de la Bonette

La plus longue des étapes, soit une centaine de kilomètres. Nous rejoignons en voiture l’endroit jusqu’auquel nous étions montés la veille afin d’alléger un chouïa notre dernière journée.
Que se passe-t-il aujourd’hui ? Des centaines de motos nous dépassent et nous croisent en nous crachant leurs gaz et leurs décibels. Nous apprendrons plus tard qu’un gigantesque rassemblement se tient ce week-end à Jausiers : d’après certains, il y aurait près de trente mille motards.
La montée est longue, éprouvante. La température ne cesse de baisser. Pourtant, nous restons en maillot de la confrérie des sept cols majeurs et n’endossons le coupe-vent que dans les deux derniers hectomètres de dénivelés. Nous continuons à faire salon en causant de choses et d’autres , Christophe et moi. Je ne peux cependant m’empêcher de sortir mon tutu rose. En clair, je monte plusieurs fois en danseuse bien que mon pilote n’apprécie pas trop les mouvements qu’entraîne ma danse. Je commence à fumer. Je suis certain que de la vapeur me sort des narines et des oreilles. Au sommet, nous sommes accueillis par des applaudissements accompagnés cependant de castagnettes. Ce sont les dents et les os de certains qui s’entrechoquent à cause du vent glacial qui balaie la Bonette. Un col roulé aura été préférable au bonnet féminin… Nous nous réfugions dans les voitures ou nous emmitouflons dans de grosses vestes et enfilons des gants fermés. Cela ne m’empêchera pas d’avoir les doigts engourdis lors de la traversée d’Isola 2000.
Fin de journée : retour au point de départ ! Des grosses cylindrées ne cessent de ronfler pendant que tous s’affairent à charger les voitures et la remorque.
Enfin, nous allons pouvoir sabler la blanquette de Limoux !
Souvenir tactile : malgré mes doigts gourds, j’ai grand plaisir à me tenir au dos de l’hôtelière pour grimper les escaliers de son établissement.

Epilogue

Un concours de circonstances exceptionnel m’a permis de vivre une expérience mémorable . Je suis heureux d’avoir pu côtoyer des cracks. Ce mot m’est revenu à la mémoire ; c’est le titre d’un film où Bourvil joue le rôle d’un inventeur génial qui prend part à un des premiers Tours de France. Merci à tous de m’avoir accepté au sein de votre peloton. Bravo aussi à toute l’équipe en général et à mon pilote en particulier d’avoir su nous mener si haut, dans la joie et la bonne humeur.

NB : Pascal dédie ce récit à Lucas Stas , récemment disparu, qui a beaucoup œuvré pour Cyclocoeur.